XIII. Epidémie

XIII. Epidémie

2016-04-20    09'01''

主播: Str666

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介绍:
Txt: Albert Camus- La peste (extrait) Bgm: Le triste sire- Dereliction (instrumentale)/ Innoncence perdue Le mot de "peste" venait d'être prononcé pour la première fois. A ce point du récit qui laisse Bernard Rieux derrière sa fenêtre, on permettra au narrateur de justifier l'incertitude et la surprise du docteur puisque avec des nuances, sa réaction fut celle de la plupart de nos concitoyens. Les fléaux, en effet, sont une chose commune, mais on croit difficilement aux fléaux lorsqu'ils vous tombent sur la tête. Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres. Et pourtant, pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus. Le docteur Rieux était dépourvu, comme l'étaient nos concitoyens. Et c'est ainsi qu'il faut comprendre ses hésitations, c'est ainsi qu'il faut comprendre aussi qu'il fut partagé entre l'inquiétude et la confiance. Quand une guerre éclate, les gens disent《ça ne durera pas, c'est trop bête.》Et sans doute, une guerre est certainement trop bête. Mais cela ne l'empêche pas de durer. La bêtise insiste toujours. On s'en apercevrait si l'on ne pensait pas toujours à soi. Nos concitoyens, à cet égard, étaient comme tout le monde. Ils pensaient à eux-mêmes. Autrement dit, Ils étaient humainistes, ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n'est pas à la mesure de l'homme. On se dit donc que le fléau est irréel. C'est un mauvais rêve qui va passer. Mais ils ne passent pas tojours. Et de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent. Et les humanistes en premier lieu, parce qu'ils n'ont pas pris leurs précautions. Nos concitoyens n'etaient pas plus coupables que d'autres. Ils oubliaient d'être modestes, voilà tout. Et ils pensaient que tout était encore possible pour eux. Ce qui supposait que le fléau était impossible, ils continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages, et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste, qui supprime l'avenir, les déplacements et les discussions? Ils se croyaient libres, mais personne ne sera jamais libre tant qu'il y aura des fléaux. Même lorsque docteur Rieux eut reconnu devant son ami qu'une poignée de malades dispersés, venaient, sans avertissement de mourir de la peste. Le danger demeurait irréel pour lui. Simplement, quand on est médecin, on s'est fait une idée de la douleur et on a un peu plus d'immagination. En regardant par la fenêtre sa ville qui n'avait pas changé, c'est à peine si le docteur sentait naître en lui ce leger écoeurement devant l'avenir qu'on appelle inquiétude. Il essayait de rassembler dans son esprit ce qu'il savait de cette maladie. Les chiffres flottaient dans sa mémoire et il se disait que la treintaine de grande peste que l'histoire a connues avait fait près de cent million de morts. Mais qu'est-ce que cent million de morts? Quand on a fait la guerre, c'est à peine déjà si on sait ce qu'est un mort. Et puisqu'un homme mort n'a pas de poids que si, on l'a vu mort, cent million de cadavres semés à l'histoire ne sont qu'une fumée de l'immagination. Le docteur se souvenait de la peste de Constantinople, qui, selon Procope, avait fait dix mille victimes en un jour. Dix mille morts font cinq fois le plubic d'un grand cinéma. Voilà ce qu'il faudrait faire: on rassemble les gens à la sortie de cinq cinémas, on les conduit sur une place de la ville, on les fait mourir en tas pour y voir un peu clair. Au moins on pourrait mettre alors des visages connus sur cet entassement anonyme. Mais naturellement c'est impossible à réaliser. Et puis, qui connait dix mille visages? D'ailleurs, les gens comme Pocope ne savait pas compter. La chose est connue. A Canton, il y avait soixant-dix ans, quarant mille rats etaient morts de la peste avant que le fléau s'intéressât aux habitants. Mais en 1871, on n'avait pas le moyen de compter les rats. On faisait son calcul approximativement, en gros, avec des chances évidentes d'erreurs. Pourtant si un rat a 30 centimètres de long, 40 mille rats mis bout à bout feraient... Mais le docteur s'impatientait. Il se laissait aller et il ne le fallait pas. Quelques cas ne font pas une épidémie et il suffit de prendre des précautions. Il fallait sans tenir à ce qu'on savait, la stupeur et la prostration, les yeux rouges, la bouche sale, les maux de tête, les bubons, la soif terrible, le délire, les tâches sur le corps, l'écartèlement intérieur. Et au bout de tout cela, au bout de tout cela, une phrase revenait au docteur Rieux, une phrase qui terminait justement dans son manuel l'Enumération des symptômes. 《Le pouls devient filiforme, et la mort survient à l'occasion d'un mouvement insignifiant.》 Oui au bout de tout cela on était pendu à un fil et les trois-quarts des gens, c'etait les chiffres exacts, étaient assez impatients pour faire ce mouvenent imperceptible qui les précipitait. Le docteur regardait toujours par la fenêtre. D'un coté de la vitre, le ciel frais du printemps, et de l'autre coté le mot résonnait encore dans la pièce: la peste. Le mot ne contenait pas seulement ce que la science voulait bien y mettre, mais une longue suite d'immages extraordinaires qui ne s'accordait pas avec cette ville jaune et grise, modérément animée à cette heure, boourdonnante plutôt que bruyante, heureuse en somme, s'il est possible qu'on puisse être à la fois heureux et morne, et une tranquilité si pacifique et si différente, liée presque sans efforts les vielles images de fleaux, Athènes empestée et désertée par les oiseaux, les villes chinoises remplies d'agonisants silencieux, les bagnards de Marseille empilants dans des trous les corps dégoulinants, la construction en provence du grand mur qui devait arrêter le vent furieux de la peste, Jaffa et ses hideux mandiants, les lits humides et pourris collés à la terre battue de l'hôpital de Constantinople, les malades tirés avec des crochets, le carnaval des médecins masqués pendant la peste noire, les accouplements des vivants dans les cimetières de Milan, les charrettes de morts dans Londre épouvanté et les nuits et les jours remplis partout et toujours de cris interminables des hommes. Non, tout cela n'etait pas encore assez fort pour tuer la peste de cette journée.