XVI. Fantaisie nocturne

XVI. Fantaisie nocturne

2016-05-08    06'21''

主播: Str666

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介绍:
Txt: Guy de Maupassant- La peur (extrait) Bgm: Le triste sire- Forclusion Le train filait, à toute vapeur, dans les ténèbres. Je me trouvais seul, en face d'un vieux monsieur qui regardait par la portière. On sentait fortement le phénol dans ce wagon du P.-L.-M., venu sans doute de Marseille. C'était par une nuit sans lune, sans air, brûlante. On ne voyait point d'étoiles, et le souffle du train lancé nous jetait quelque chose de chaud, de mou, d'accablant, d'irrespirable. Partis de Paris depuis trois heures, nous allions vers le centre de la France sans rien voir des pays traversés. Ce fut tout à coup comme une apparition fantastique. Autour d'un grand feu, dans un bois, deux hommes étaient debout. Nous vîmes cela pendant une seconde: c'était, nous sembla-t-il, deux misérables en haillons, rouges dans la lueur éclatante du foyer, avec leurs faces barbues tournées vers nous, et autour d’eux, comme un décor de drame, les arbres verts, d'un vert clair et luisant, les troncs frappés par le vif reflet de la flamme, le feuillage traversé, pénétré, mouillé par la lumière qui coulait dedans. Puis tout redevint noir de nouveau. Certes, ce fut une vision fort étrange! Que faisaient-ils dans cette forêt, ces deux rôdeurs? Pourquoi ce feu dans cette nuit étouffante? Mon voisin tira sa montre et me dit:“Il est juste minuit, Monsieur, nous venons de voir une singulière chose." J'en convins et nous commençâmes à causer, à chercher ce que pouvaient être ces personnages: des malfaiteurs qui brûlaient des preuves ou des sorciers qui préparaient un philtre? On n'allume pas un feu pareil, à minuit, en plein été, dans une forêt, pour cuire la soupe? Que faisaient-ils donc? Nous ne pûmes rien imaginer de vraisemblable. Et mon voisin se mit à parler... C'était un vieil homme, dont je ne parvins point à déterminer la profession. Un original assurément, fort instruit, et qui semblait peut-être un peu détraqué. Mais sait-on quels sont les sages et quels sont les fous, dans cette vie où la raison devrait souvent s'appeler sottise et la folie s'appeler génie? Il disait: Je suis content d'avoir vu cela. J'ai éprouvé pendant quelques minutes une sensation disparue! Comme la terre devait être troublante autrefois, quand elle était si mystérieuse! A mesure qu'on lève les voiles de l'inconnu, on dépeuple l'imagination des hommes. Vous ne trouvez pas, Monsieur, que la nuit est bien vide et d'un noir bien vulgaire depuis qu'elle n'a plus d'apparitions. On se dit: “Plus de fantastique, plus de croyances étranges, tout l'inexpliqué est explicable. Le surnaturel baisse comme un lac qu'un canal épuise; la science, de jour en jour, recule les limites du merveilleux." Eh bien, moi, Monsieur, j'appartiens à la vieille race, qui aime à croire. J'appartiens à la vieille race naïve accoutumée à ne pas comprendre, à ne pas chercher, à ne pas savoir, faite aux mystères environnants et qui se refuse à la simple et nette vérité. Oui, Monsieur, on a dépeuplé l'imagination en surprenant l'invisible. Notre terre m’apparaît aujourd'hui comme un monde abandonné, vide et nu. Les croyances sont parties qui la rendaient poétique. Quand je sors la nuit, comme je voudrais frissonner de cette angoisse qui fait se signer les vieilles femmes le long des murs des cimetières et se sauver les derniers superstitieux devant les vapeurs étranges des marais et les fantasques feux follets! Comme je voudrais croire à ce quelque chose de vague et de terrifiant qu'on s'imaginait sentir passer dans l'ombre. Comme l'obscurité des soirs devait être sombre, terrible, autrefois, quand elle était pleine d'êtres fabuleux, inconnus, rôdeurs méchants, dont on ne pouvait deviner les formes, dont l'appréhension glaçait le cœur, dont la puissance occulte passait les bornes de notre pensée, et dont l'atteinte était inévitable? Avec le surnaturel, la vraie peur a disparu de la terre, car on n'a vraiment peur que de ce qu'on ne comprend pas. Les dangers visibles peuvent émouvoir, troubler, effrayer! Qu'est cela auprès de la convulsion que donne à l'âme la pensée qu'on va rencontrer un spectre errant, qu'on va subir l'étreinte d'un mort, qu'on va voir accourir une de ces bêtes effroyables qu'inventa l'épouvante des hommes? Les ténèbres me semblent claires depuis qu'elles ne sont plus hantées. Et la preuve de cela, c'est que si nous nous trouvions seuls tout à coup dans ce bois, nous serions poursuivis par l'image des deux êtres singuliers qui viennent de nous apparaître dans l'éclair de leur foyer, bien plus que par l'appréhension d'un danger quelconque et réel. Il répéta: “On n'a vraiment peur que de ce qu'on ne comprend pas.”
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